J’ai entendu la cornemuse… Wally Parr, héro de Pegasus Bridge

Walter « Wally » Parr, qui réside à Vernon, a tout vécu sur ce pont de Bénouville que l’on baptisera Pegasus Bridge.
Mémoires
Propos recueillis par François Henriot

Nous remercions François Henriot, qui nous a donné l’autorisation de reproduire cet article, paru dans Paris-Normandie du 7 juin 2004, dans le cadre de la commémoration du 60e anniversaire du Débarquement. Un modeste hommage à l’un des premiers Britanniques à avoir mis le pied sur le sol de France le 6 juin 1944, à 0h15.

Walter « Wally » Robert Parr a tout vécu, en ce pont de Bénouville aussi sacré pour les Britanniques que la pointe du Hoc, Omaha la sanglante ou Sainte Mère Église pour nos libérateurs Américains. Le lieutenant Danny Brotheridge est mort dans ses bras, premier soldat allié tombé le 6 juin, quelques minutes après le posé des trois planeurs Horsa près du pont que l’on baptiserait Pegasus Bridge. Wally s’est emparé d’un canon antichars allemand, dont il s’est immédiatement servi contre ses propriétaires. Et puis, bien plus tard dans la journée… « J’ai entendu la cornemuse, celle de Bill Millin… je n’en croyais pas mes oreilles. Et j’ai vu lord Lovat, avec son pulI blanc, qui arrivait sur le pont. je l’ai salué: «Je suis très heureux de vous rencontrer! » Il m’a répondu: « Travail bien fait ».Georges Gondrée avait sorti le champagne dans son café au bout du pont. Lord Lovat n’en a pas bu. Les Allemands tiraient encore. Nous, nous en avons bu, du champagne. En levant en riant nos verres à ces commandos qui arrivaient… enfin !»

L’ odeur du 6 juin…

L’humour à fleur de souvenirs, Wally Parr n’en oublie pour autant pas « Cette odeur, dans la journée du 6: les morts, les cadavres d’animaux, partout. Cette odeur, je l’ai là ! », confie-t-il en se frappant le front, au calme exigu de son minuscule appartement de Vernon. Car c’est dans l’Eure que Wally vit, fort modestement, depuis 1991 et sa rencontre avec Louise. Photos et diplômes d’honneur aux murs, veste constellée de médailles, béret rouge et tendresse entre Louise et cet ancien des «Ox and Bucks», une très fermée et très authentique confrérie de 14 survivants *, héros de Pegasus Bridge immortalisés dès le Jour le plus long…

Le Londonien de 82 ans n’a pas fait fortune en racontant ses histoires, l’Histoire. Wally Parr, sergent en 1945, a vécu 7 ans et demi d’armée. Blessé à la tête par une balle d’obus-shrapnell peu après le Débarquement, à 5 km de Ranville, il reprend le combat en décembre 1944, dans la neige des Ardennes, puis franchit le Rhin. Sur le sol allemand, c’est à une jambe qu’il est à nouveau sérieusement touché

« Fucking german amy »

À la fin du conflit, pas de fête. Mais six mois de bateau vers Bombay. Puis des combats dans la jungle indienne, et enfin, en Palestine. Redevenu civil, Wally sera laveur de carreaux à Londres. De lui même, l’ancien béret rouge de Sa Majesté – et du Monde libre – revient sur ce D Day de douleur et de joies: Nous étions vraiment très bien préparés pour ce plus grand débarquement de l’histoire. Même si nous nous sommes rendus compte au dernier moment que nous n’avions pas de médecin. Le docteur Jacob s’est porté volontaire. Il n’avait jamais été parachuté, ou lâché en planeur.. » Wally mime alors le geste d’un buveur au goulot…
« Il est venu avec nous ! Et à 0 h 17, nous nous sommes retrouvé face à cette « Fucking german army » « Mais nous avions l’adrénaline ! Et dans une poche du treillis, du chocolat de Cambridge pour Madame, Mademoiselle.

Alors, bien que relevant d’une opération chirurgicale, Wally Parr sera fidèle au rendez-vous de Bénouville-Ranville. Dès le 4 juin sur place. Sans pistolet- mitrailleur Sten, sans chocolat de Cambridge, mais avec Louise (*). Et les derniers copains au béret rouge d’une immortelle nuit normande.

Un an après (mai 2005)…

Sur les conseils de François Henriot, je suis allé rendre visite à Wally Parr, qui habite toujours à Vernon, avec Louise, dans un foyer-résidence pour personnes âgées. Cette année, sa santé ne lui permettra pas d’assister aux cérémonies officielles. Mais nous avons pu bavarder, du pont de Bénouville, et de bien d’autres choses encore : la sévérité de l’entraînement, qui avait fait des Ox and Bucks les meilleurs d’entre les meilleurs, la brutalité de l’atterrissage dans les planeurs (le planeur s’écrasait au sol, en cassant beaucoup de bois). Des anecdotes lui sont revenues en mémoire, comme le choix du médecin, au dernier moment. Avant le docteur Jacob, un autre médecin militaire avait été contacté, qui avait répondu : « Je vous remercie, le jour où j’aurai envie de me suicider, j’ai l’intention de choisir moi-même la manière… » Et l’attitude plutôt distante de Lord Lovat, qui avait demandé que George Gondrée ne vienne pas l’importuner avec ses bouteilles de champagne. Était-il épuisé ? Sans doute. Estimait-il qu’il s’agissait là de futilités, alors qu’il avait d’autres tâches plus importantes ? Peut-être. Et peut-être avait-il jugé que ces quelques instants de relâchement pourraient avoir de graves conséquences.

Wally Parr se souvient de Bill Millin, qu’il a rencontré plus tard, lors de cérémonies officielles.

Nous avons aussi parlé de qui m’avait le plus étonné en lisant l’article de François Henriot. Comment pouvait-il se faire que le héros de Pegasus Bridge se retrouve dans sa vieillesse, dans une situation financière aussi précaire ? Très simplement, Wally Parr m’a donné l’explication. En fait, Wally n’est pas resté dans l’armée, et a retrouvé la vie civile en 1946, dans une Angleterre appauvrie par 5 années de guerre, où le travail était rare. Engagé volontaire dès 1939 à 17 ans, Wally n’avait aucune formation professionnelle et n’avait aucune compétence monnayable dans la vie civile. Et l’Angleterre n’avait rien à proposer aux militaires démobilisés : pas de GI Bill, comme les Américains, pas de mesures de réinsertion, pas de programmes de formation progessionnelle.

À chacun de se débrouiller comme il pouvait. Et dans l’armée, un excédent de cadres, officiers et sous-officiers… Wally Parr ne voulait pas devenir manoeuvre dans une usine, ni rester enfermer dans un entrepôt. C’est ainsi qu’il est devenu laveur de vitres indépendant, une activité qu’il a poursuivie plus de quarante ans et que son fils a repris en 1977. Il s’agit d’une profession dans laquelle on peu gagenr correctement sa vie, notamment en Angleterre. Mais comme beaucoup de travailleurs indépendants, devant faire face au quotidien à ses charges de famille (il avait épousé en 1940 Irene Spear * et de leur union naquirent 4 enfants), il n’a pas été en mesure de se constituer une retraite suffisante.

Son histoire apporte un rémoignage supplémentaire sur les conséquences de la guerre en Grande Bretagne, avec tous ces soldats démobilisés, dans un pays pratiquement ruiné, que personne n’a aidés, quels qu’aient été leurs faits d’armes et la valeur de leur sacrifice. Wally Parr ne se plaint pas et n’a jamais rien demandé à personne, mais lorsque l’on voit le dénuement dans lequel il vit, on ne se sent pas très fier.

Décembre 2005
Nous avons appris avec tristesse le décès de Wally Parr, survenu le 3 décembre 2005. Très malade, il avait été transporté à l’hôpital de Lewisham, Londres dans le courant du mois de novembre. Les obsèques ont été célébrées vendredi 16 décembre, dans la banlieue de Londres. Installé en France depuis 1991, Wally avait la nostalgie de sa chère Angleterre : il écoutait chaque jour les informations de la BBC sur son vieux transistor et souhaitait finir sa vie dans sa famille, au pays. Les Français ne n’oublieront pas.