Dans un geste qui a choqué les observateurs, le président kenyan William Ruto annoncé Le 26 juin, il retirait le projet de loi de finances très controversé de son gouvernement. Cette décision faisait suite à deux jours au cours desquels des dizaines de milliers de manifestants, en majorité des jeunes, sont descendus dans la rue dans le cadre de rassemblements à l'échelle nationale contre les propositions contenues dans le projet de loi de finances du pays. Budget 2024. Kathleen Klausqui a étudié la violence politique au Kenya, explique ce qui a motivé les manifestants.
La hausse des prix a-t-elle déclenché les manifestations au Kenya ?
Les fortes hausses des prix des biens de première nécessité, notamment de la nourriture et du carburant, sont souvent à l’origine de manifestations et de troubles sociaux, comme l’ont démontré plusieurs études universitaires.
Les exemples récents sont nombreux, depuis les manifestations en Tunisie qui ont déclenché le printemps arabe, jusqu’aux soulèvements au Chili, en Afrique du Sud et en France.
Mais comme partout ailleurs, la hausse des prix – et les perspectives de coûts encore plus élevés – ne sont qu’une partie du problème au Kenya. Ce qui semble avoir motivé une telle indignation et une action collective est lié à quatre questions clés.
Premièrement, l’objet de la taxe est important, tant sur le plan matériel que symbolique. Les taxes proposées auraient touché tous les segments de la société. Mais elles auraient été particulièrement ressenties par les pauvres et la classe ouvrière. Le projet de loi proposait de taxer tout, depuis les revenus et le carburant jusqu’aux produits de première nécessité comme les œufs, les serviettes hygiéniques et les couches jetables – bien que des amendements aient supprimé les taxes sur les serviettes hygiéniques et les couches jetables.
Les augmentations d'impôts proposées auraient également pour effet d'augmenter les coûts des soins de santé. Les créateurs de contenu numérique auraient également été touchés.
L’augmentation des taxes sur ces produits les plus intimes et essentiels représente l’indifférence du gouvernement à l’égard de la capacité des Kenyans à vivre une vie digne.
Deuxièmement, le gouvernement a justifié cette taxe en affirmant qu’elle visait à réduire la dette nationale, qui représente actuellement 68 % du PIB. Pourtant, pour de nombreux Kenyans, la réduction du déficit ne passe pas par la fiscalité, mais par la lutte contre la corruption endémique à tous les niveaux du gouvernement, la mauvaise gestion financière et la consommation excessive des élites politiques. Cela inclut un sentiment d’indignation grandissant face aux habitudes de dépenses de Ruto – comme la location de jets privés pour des voyages internationaux, un dîner de huit plats pour le roi Charles III et un amour des montres de luxe et autres articles de créateurs.
Troisièmement, de nombreux Kenyans ont estimé que le projet de loi de finances, adopté avec le soutien de 195 des 304 députés le 25 juin, ne tenait absolument pas compte de leur humanité. Selon eux, il démontrait également l’incapacité ou le refus des élites politiques de reconnaître la précarité économique, la pauvreté extrême et les difficultés quotidiennes que vivent de nombreux Kenyans.
Comme l’explique une femme citée dans le New York Times : « C’est comme si (les politiciens) ne ressentaient pas notre douleur. »
En outre, le projet de loi de finances a été perçu comme une trahison par les personnes qui ont voté pour Ruto lors des élections de 2022 en raison de ses appels aux pauvres et de ses promesses d’imposition progressive.
Quatrièmement, les manifestants ont également été motivés par la tentative brutale du gouvernement de réprimer le soulèvement. La détermination de nombreux manifestants s'est renforcée lorsque la police et l'armée sont devenues plus violentes, tirant à balles réelles et utilisant des gaz lacrymogènes sur la foule. Au moins 13 personnes auraient été tuées.
En réponse à la violence de l'État, le discours et le message ont changé. L'appel au rassemblement s'est transformé en marche pour la liberté et en hommage aux Kenyans tués par la police.
Quels problèmes de longue date et non résolus sont à l’origine des troubles ?
Plusieurs problèmes sous-jacents et non résolus contribuent à expliquer la puissance et l’ampleur des manifestations contre les impôts.
Le premier, comme mentionné précédemment, est une longue histoire de mépris du gouvernement pour la vie des Kenyans. De nombreux mouvements sociaux ont exprimé ce sentiment, notamment sur les réseaux sociaux. Ces mouvements sont variés :
Un deuxième problème connexe est la cupidité perçue de la classe politique, y compris des décennies de scandales de corruption très médiatisés qui restent largement incontrôlés – des scandales qui aggravent la dette nationale, mais qui privent également les Kenyans des améliorations d’infrastructures essentielles et promises et de la prestation de services améliorés.
Ces frustrations s’accompagnent d’une inégalité économique profonde et persistante, enracinée dans le régime colonial, qui a laissé une grande partie de la population sans terre. À ce jour, seules quelques familles kenyanes possèdent une grande partie des terres arables du pays. En 2022, les 10 % les plus riches des Kenyans détenaient 48,5 % de la richesse du pays.
Les inégalités persistantes, qui ont légèrement augmenté entre 2020 et 2021, ont également ralenti les taux de réduction de la pauvreté, le taux de pauvreté ayant augmenté de près de 7 % entre 2015 et 2021.
Qu’en est-il des conséquences économiques ?
Les manifestations ont montré au gouvernement et aux bailleurs de fonds internationaux qu’il existe peu de tolérance et de marge de manœuvre politique pour augmenter les recettes fiscales par le biais d’impôts régressifs – ceux qui pèsent davantage sur les personnes à faibles revenus que sur les personnes à revenus élevés.
Cela témoigne également d’une intolérance croissante du public à l’égard de la corruption.
Enfin, le fait que les manifestations aient convaincu Ruto de retirer le projet de loi de finances est le signe d’une société civile plus forte et plus audacieuse, qui pourrait continuer à exiger davantage de transparence et de responsabilité financière de la part de ses dirigeants. Même si un changement radical est peu probable, les perspectives de troubles généralisés pourraient contraindre les dirigeants politiques à être plus attentifs à l’intérêt public, un changement qui pourrait éventuellement conduire à des politiques économiques plus inclusives.